Le projet

« Gaïa » est le nom donné par LVMH, célèbre multinationale du luxe, à un important projet d’implantation d’un bâtiment sur le plateau de Saclay, dédié au « luxe durable et digital » (sic). Il y a quelques mois, l’entreprise Total avait également pour projet d’implanter un bâtiment de recherche sur le campus de Polytechnique, avant de renoncer face à la mobilisation d’une ampleur inédite des élèves et anciens élèves.

La première mention publique d’un tel projet date du 1er juillet 2021 [1]. À l’époque, LVMH dit vouloir s’implanter « sur le plateau de Saclay », sans donner plus de détails sur l’emplacement envisagé. C’est seulement en juin 2022 que le groupe informera de son intention de s’implanter sur le campus de Polytechnique. Cette page retrace les grandes étapes de la définition du projet, ainsi que ses caractéristiques scientifiques et architecturales.

L’emplacement dans le campus de l’IPP, l’option retenue par LVMH

Après s’être vu proposer au moins quatre emplacements possibles pour s’installer, LVMH a restreint son choix à deux parcelles : un site à l’ouest du plateau de Saclay, au bord de la N 118 (site dit « du Moulon »), et une grande parcelle triangulaire, sur le campus de l’Institut Polytechnique de Paris.

Les quatre emplacements proposés par l’EPAPS à LVMH

Les deux parcelles retenues appartiennent à l’Établissement public d’aménagement Paris-Saclay (EPAPS), chargé par l’État de l’aménagement du plateau de Saclay. Le terrain sur le campus de Polytechnique était affecté à l’établissement avant d’être cédé à l’EPAPS en 2021. LVMH a émis une préférence claire pour la parcelle située sur le campus de l’IP Paris, tout en se réservant la possibilité de s’installer au Moulon, en guise de plan B. Cet emplacement au milieu des écoles d’ingénieurs ferait du bâtiment LVMH le premier bâtiment visible depuis l’entrée donnant sur l’autoroute.

L’emplacement favori de LVMH, à l’entrée du campus de l’IPP.

Cette parcelle située dans le campus a une superficie de 34 450 m², ce qui est gigantesque : plus que l’ENSAE et Télécom, et un tout petit moins que l’ENSTA (3 des 5 établissements-composantes de l’IPP). 10 500 m² sont non constructibles en raison d’une zone humide où vivent des espèces protégées. L’emprise maximale au sol du bâtiment envisagé par LVMH serait de 12 000 m², pour une surface de plancher totale comprise entre 22 000 et 25 000 m².

Le prix de vente de la parcelle, fixé à 690 € par mètre carré de plancher, s’élèverait à environ 15 millions d’euros au bénéfice de l’EPAPS (et non pas des écoles du campus). Le document administratif régissant la vente des terrains du parc d’innovation est le « Protocole foncier relatif aux terrains de l’École polytechnique », signé le 29 août 2012 entre l’X, l’EPAPS, l’État et le Ministère des armées. Il est disponible en intégralité sur la page « Documents ».

Un partenariat scientifique en construction

LVMH communique sur sa volonté d’installer dans ce bâtiment 300 de ses chercheurs, afin de les faire travailler sur des projets scientifiques répondant aux intérêts des différentes « maisons » (entreprises membres) du groupe de luxe.

Les principaux exemples d’applications cités par LVMH sont la suppression du plastique d’origine fossile dans les packagings des produits, l’amélioration de l’empreinte environnementale de la production du cuir (notamment de la tannerie), le développement de nouvelles matières durables pour la mode et la maroquinerie, et l’agroécologie (pour les vins et spiritueux).

Les axes de recherche proposés par LVMH lors d’une réunion avec les administrateurs de l’École polytechnique.

LVMH annonce vouloir investir 2 millions d’euros par an dans des projets de recherche impliquant des chercheurs d’IP Paris. Cette promesse reste floue à ce jour. Formulée ainsi, on peut comprendre que cet argent concerne des projets de recherche pour LVMH mais en coopération avec certains chercheurs de l’IPP. Plus généralement, le projet de partenariat scientifique envisagé entre LVMH et l’IPP n’a fait l’objet d’aucune publicité à ce jour. Il était prévu que ce projet soit présenté pour délibération au Conseil d’Administration de l’IPP le 28 septembre 2022, mais aucun document formalisé n’était disponible à cette date.

Les étapes du projet

Dès février 2021 est organisée une visite, à l’école, de Bernard Arnault, le PDG du groupe, accompagné notamment de Christian Reyne (directeur grands projets de LVMH) et Jean-Baptiste Voisin (directeur de la stratégie de LVMH mais également secrétaire général de l’AX, association des anciens élèves de Polytechnique) [2].

Le projet a ensuite été présenté à une partie du Conseil académique (CAc) de l’IP Paris en juillet 2021. En octobre 2021, des échanges informels et confidentiels ont lieu entre LVMH et quelques étudiants et chercheurs de l’IP Paris.

Le 3 juin 2022, LVMH a écrit à l’EPAPS pour se porter candidat à l’acquisition d’une des parcelles envisagées ; le 13 juin, l’EPAPS a demandé, à son tour, à l’École polytechnique de solliciter son Conseil d’administration sous trois mois pour donner son accord à l’implantation du groupe sur la parcelle située sur le campus, emplacement préféré par LVMH. Le même jour, une réunion informelle a lieu entre des élus de l’IP Paris et des représentants de LVMH.

Le 23 juin 2022, le projet a été présenté en détail au CA de Polytechnique.

Les 29 juin et 4 juillet, deux amphithéâtres de présentation du projet ont été organisés, à destination respectivement des élèves et des personnels de l’École polytechnique.

Le Conseil académique de l’IP Paris a discuté du projet lors de la séance du 12 septembre 2022, sans document concret sur lequel s’appuyer.

Le CA de l’IPP s’est prononcé favorablement sur l’accord de partenariat scientifique le 28 septembre. Cet accord est indépendant du projet de bâtiment.

Le 8 novembre 2022, la direction de Polytechnique a organisé un CA exceptionnel pour délibérer sur le projet d’implantation du bâtiment. Avec 4 voix contre, 1 abstention et 19 voix pour, le CA a donné son accord pour la vente du terrain. Ces quelques voix d’opposition, qui peuvent paraître anecdotiques, sont en fait très significatives : les voix contre sont rares au sein de ce conseil. Pour comparaison, la délibération équivalente pour Total n’avait recueilli que 3 abstentions, et aucune voix contre.

Cette délibération ne signifie en rien que la vente du terrain ou la construction d’un bâtiment se concrétiseront nécessairement. En effet, comme le montre le précédent Total, il ne s’agit que d’une étape formelle après laquelle la réalisation effective du projet n’est pas assurée.

Des négociations confidentielles

L’IPP et LVMH ont signé, en juin 2022, un NDA (accord de non-divulgation) ayant pour objet la garantie de la confidentialité des informations échangées lors des négociations en cours. L’existence de ce document est régulièrement invoquée par la direction de Polytechnique pour exiger une stricte confidentialité de la part de tous les acteurs, y compris élus représentants des étudiants et du personnel, bien au-delà des normes en vigueur pour les documents qui régissent la direction d’un établissement public. À ce jour, personne ne sait ce que contient exactement le NDA, ni sa portée juridique. Ce document a fait l’objet d’une demande de communication à l’IPP, en tant que document administratif. L’IPP a refusé de le communiquer.

De plus, il existe déjà trois programmes de recherche entre LVMH et des chercheurs de Polytechnique, ainsi qu’un programme de recherche entre Polytechnique, LVMH et Sephora. Nous avons demandé à Polytechnique de nous communiquer les conventions de partenariat encadrant ces programmes, qui sont des documents administratifs. Polytechnique a refusé de communiquer ces documents en invoquant le secret des affaires.

Sources

[1] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/lvmh-annonce-un-projet-de-centre-de-recherche-sur-le-luxe-durable-et-digital-a-saclay-20210701

[2] https://landing.glitz.paris/xvmh